Photos de carte postales pour rubrique cartes blanches julie sergi
Écriture

Cartes blanches – L’amer

Voici la naissance d’un nouveau projet. Des projets, des envies, des idées ce n’est pas ce qui manque par chez nous, mais de l’esprit à la réalisation il n’y a qu’un pas ou plutôt deux ou plutôt cent.

La promenade est terminée pour atteindre celui-ci qui voit enfin le jour. Explication :

L’amoureux et moi avons acquis lors d’un vide maison un lot d’anciennes photos et cartes postales. Ni une ni deux l’idée a germé, nous allions faire vivre ces lieux et personnages inconnus en racontant des histoires. Mais comme nous sommes joueurs et que nous aimons la contrainte (en écriture), nous avons décidé de le faire d’une manière particulière.

Nous tirons donc quatre cartes postales, deux chacun, et ensuite nous sommes libres, nous nous laissons guider par notre inspiration, c’est Cartes blanches ! Nous écrivons un texte chacun de notre côté et nous les publions sur ce blog pour le mien, sur www.nicolasboissier.com pour le sien (les textes ne sont pas forcément publiés en simultané, chacun son rythme…).

Je vous laisse donc découvrir dans quelles directions peuvent partir deux esprits miroirs face au même support. Je vous invite également à jouer le jeu et partager en commentaire ou nous envoyer vos textes.

J’espère que cette nouveauté vous plaira, bonnes lectures.

Photos de carte postales pour rubrique cartes blanches julie sergi
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L’amer

Je me souviens de tout.

Je me souviens du jour de ton arrivée au village, de ce lundi du mois de mars, de ton apparition au coin de la rue qui fit s’envoler d’une brise mes années de solitude.

Tout était doux ce matin-là. La lumière que le feuillage filtrait offrait à mon étal des gouttelettes dorées parant les fruits et légumes d’un tapis scintillant.

L’air également était d’une douceur précoce en cette fin de saison hivernale. J’avais noué un foulard bleu marin sur ma tête. Ce foulard par lequel tout a commencé…

Je t’ai regardé approcher, tes pas cadencés rythmant le balancement de ton corps m’évoquait une danse. Était-ce une valse ?

Les reflets dorés du soleil, la musique… Je fermais les yeux et me perdis dans un songe, valsant à tes côtés sur le parquet ciré d’une grande salle de bal, mon foulard s’était transformé en une belle robe bleue qui caressait ma peau à chacun de mes mouvements, telle une vague de sensualité et de pudeur, un deux trois, un deux trois…

« Un deux trois », le voile de rêverie se leva et tu étais là, juste devant moi, comptant mes pommes pailletées.

Je restais immobile craignant de rompre la magie de l’instant. Tu as levé les yeux et je t’ai vu t’illuminer, tu as montré mon foulard et tu as dit : « Ce bleu ! Je désespérais de revoir cette couleur par ici, non pas que le vert me soit désagréable mais vous savez, de là où je viens, le bleu se reflète partout où le regard se pose. Dans le moindre recoin la mer se glisse et parsème le monde d’azur. »

Tu as parlé, parlé ; de ta ville, des palmiers bordant les plages de sable fin, de l’ivresse que procurent les odeurs iodées, tu m’as raconté que tu étais marin, que la mer était ta famille ; tu parlais avec un accent que je ne connaissais pas, un accent qui chantait et moi, je buvais tes paroles salées, déposant une à une sur moi les grains du désir, tu étais si beau…

Quelques mois plus tard nous étions du même côté de l’étal. Les clients t’adoraient, ils disaient que si nos légumes étaient si bons, c’était parce que tu leur instillais des doses de ton soleil. C’est vrai que tu étais un soleil, tout était plus gai en ta présence, plus lumineux, plus chaud.

Nous avons emménagé dans la ville voisine. Gerardmer, j’entends encore ton émerveillement quand tu t’es aperçu qu’il contenait le mot mer. Nous nous sommes installés dans une maison à l’écart du bourg, sur un flanc de montagne, le plus haut possible, car tu avais besoin de voir l’horizon. Et surtout, nous avions vue sur le lac, qui une fois encore te rappelait ta bien-aimée.

La vie à tes côtés était une friandise, une de celles qu’on laisse fondre délicatement en bouche pour ne pas qu’elle disparaisse, en se délectant de chaque saveur, de chaque instant.

Et puis un jour sans crier gare, les papilles se sont endormies et le soleil s’est éteint. Plus de paroles chantantes, de rires impétueux, de baisers salés. Juste une lettre, quelques mots sans saveurs, griffonnés là comme la promesse d’un avenir désert.

« Elle m’appelle, depuis le premier jour elle me rappelle à elle, je ne peux plus lui résister, pardonne-moi »

Depuis, le coin de la rue déborde de ton absence, les feuilles sans vie tombent sur les fruits et légumes qui semble-t-il ont perdu leur vitalité, eux aussi.

Parfois j’essaie de t’imaginer, ayant pris le large, sur cette mer inconnue qui m’a privée de ma vie. Rien de remarquable en cette vision marine, le bleu, je peine à le deviner, du gris, rien que du gris, des vagues épineuses, des bateaux rouillés, du vide, partout du vide. Partout, sauf au creux de mon être où tu as déposé, en plus de tes quelques mots la promesse d’être à mon tour une mer que jamais on n’oubliera.


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