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La pièce de l’ombre

Ce texte ayant disparu sans donner d’explication, je force un peu la main pour le faire revenir ici, advienne que pourra, le voici. Il tient son origine d’un rêve.


La pièce de l’ombre

A peine fut-elle arrivée qu’il la fit monter à l’étage, en silence. Elle le suivit d’un pas qu’elle voulait le plus léger possible, suivant du bout de ses doigts le chemin invisible qu’avait déposé sur la lisse, la paume anguleuse de sa main.

Elle s’arrêta devant la porte, ouverte sur l’ombre. D’un mouvement imperceptible de la tête, il l’invita à entrer, et pourtant, son corps immobile, rigide, forçait le paradoxe.

Elle sourit, gênée, ne sachant quel comportement adopter. Ce n’était pas habituel mais seulement en sa présence, elle se sentait comme suspendue, dans une non existence, une contemplation, un instant immaculé qu’elle ne souhaitait souiller ni d’une parole, ni même d’une respiration.

Elle finit par s’y introduire. Elle fut frappée de prime abord par l’absence d’odeur, puis par la sensation de vertige qui émanait de cette pièce. Son regard ne parvenait à s’accrocher à rien, il glissait, sur les objets, les voilages, les murs, tout semblait à la fois transparent et percutant. Sa tête tournait, envahie d’une fragilité soudaine, elle flottait dans une énergie nouvelle, sans aucun repère connu.

La seule source de lumière provenait d’une petite bougie. La flamme ne vacillait pas, comme figée dans l’instant, projetant des ombres qui s’imprégnaient dans le bois du mobilier.

Elle s’approcha de lui, il restait silencieux, il paraissait absent et pourtant son aura emplissait la pièce ; suffocante, envoûtante.

Chancelante, elle s’allongea le dos sur le sol et resta ainsi de longues minutes. Il la rejoignit, se plaçant en miroir, la tête au niveau de la sienne, à une distance respectable.

Leurs corps formaient les aiguilles d’un cadran imaginaire, chacun pointant l’heure opposée, seuls leurs visages étaient alignés comme l’épicentre d’un nouvel espace temps.

Ils fixèrent ainsi le néant, synchronisant leurs souffles.

Une légère sensation parcourut sa joue droite, puis la gauche, un frisson, et, ne contrôlant plus rien, elle laissa faire, laissa les larmes couler, ruisseler, laver, purifier. Elle inclina la tête doucement et vit qu’il la regardait. Depuis quand ?

Dans un geste d’une délicatesse infinie, il approcha la main de son visage, caressa sa joue, cueillant au passage les perles noires comme on accueille une offrande divine, puis vint les déposer sur la sienne, formant ainsi une symétrie parfaite. Ils restèrent ainsi, accrochés au regard de l’autre, funambules sur le fil fragile qui les reliait.

Ils ne surent pas qui des deux le rompirent en premier, ils se levèrent, sans un mot. Il s’extirpa de l’ombre, descendit d’un pas rapide l’escalier puis disparût.

Étourdie par ce moment hors du temps, elle s’agrippa à la rambarde, s’imprégnant une dernière fois de ce qui fut, puis disparût à son tour.

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